Déclarations

Declaration conjointe de la societe civile de Banjul

Nous, organisations de la société civile et institutions nationales des droits de l’homme travaillant sur tous les aspects des Droits de l’homme et des Peuples en Afrique, nous sommes réunis à Banjul, Gambie sous le thème «Défendre la CADHP» le 23 octobre 2018 pour dialoguer sur notre réponse aux attaques sur l’indépendance de la CADHP, adoptons la déclaration suivante:

CONSCIENTES que la CADHP a fait l’objet de menaces et de tentatives graduelles et croissantes de saboter sa crédibilité et son indépendance de la part des États parties. Ces menaces ont abouti à des attaques à part entière qui sont menées par des Gouvernements autocratiques et populistes des Etats membres de l’Union africaine qui ne veulent pas être tenus pour responsables des violations des droits de l’homme qu’ils commettent au niveau national et cherchent à créer une culture d’impunité en affaiblissant nos mécanismes de responsabilité.

PRENANT NOTE du paragraphe 5 de la Décision EX.CL/Dec.1008-1030(XXXIII) du Conseil exécutif de l’UA (Décision 1015) qui est une distorsion des principes fondamentaux du Droit international des Droits de l’Homme et une tentative de réécrire la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Charte africaine). Le paragraphe déforme l’indépendance dont jouit la CADHP comme étant «de nature fonctionnelle et non indépendante des organes qui l’ont créée. Il prétend limiter l’indépendance dont jouit la CADHP à l’indépendance «fonctionnelle» et supprimer l’indépendance institutionnelle et personnelle des commissaires, qui sont la clé de l’efficacité des organes quasi-judiciaires.

PRENANT NOTE EXCEPTIONNELLE de la tentative de déplacer la primauté de la Charte africaine en tant que traité qui établit et régule le fonctionnement de la CADHP en révisant la loi, l’histoire et les origines de la CADHP en déclarant à tort que les organes (de l’UA) ont créé ce corps afin de lui faire devoir son existence et allégeance à eux et non à la Charte africaine.

PROFONDEMENT PERTURBEES par le fait que la Décision 1015 contienne de nombreuses dispositions qui violent la Charte africaine, le Droit international et empiètent sur les pouvoirs de la CADHP, y compris les dispositions suivantes:

  • La Commission ne bénéficie que d’une indépendance fonctionnelle;
  • Il n’est pas indépendant des organes de l’UA qui l’ont créé;
  • Mise en garde sur la tendance de la CADHP à agir en tant qu’organe d’appel, violant ainsi les systèmes juridiques nationaux;
  • … les travaux de la CADHP devraient être conformes à l’Acte constitutif, l’Agenda 2063, les positions communes africaines, la réforme institutionnelle de l’Union et les Décisions des Organes politiques prenant en considération les vertus de la tradition historique et les valeurs de la civilisation africaine qui devraient inspirer et caractériser leur réflexion sur le concept des droits de l’homme et des peuples…:
  • Demander aux États parties de:… mener un examen analytique du mandat d’interprétation de la CADHP à la lumière d’un mandat similaire exercé par la Cour africaine et du potentiel de jurisprudence contradictoire… »
  • Demander à la CADHP de:

o «de consulter le bureau du Conseiller juridique et d’autres organes juridiques compétents dans le cadre de l’élaboration d’un code de conduite et de la révision du Règlement intérieur»

o «soumettre ses critères révisés d’octroi et de retrait du statut d’observateur aux ONG aux «organes directeurs» pour examen et considération»; que les «critères révisés doivent être conformes aux critères déjà existants d’accréditation des ONG par l’UA» et qu’ils… «doivent prendre en compte les valeurs et traditions africaines».

o «vérifier toutes les allégations et faire preuve de diligence raisonnable avec l’État concerné…»

o «retirer l’accréditation de CAL d’ici décembre 2018».

o «respecter la confidentialité».

CONSTATANT que la Décision 1015 exigeait également de la CADHP le retrait de l’accréditation de la Coalition des lesbiennes africaines en tant qu’ONG ayant le statut d’observateur. La CADHP a procédé à la mise en œuvre de la Décision en notifiant à CAL qu’elle a retiré son statut d’observateur à compter du 8 août 2018. Il s’agit d’une évolution alarmante où la CADHP a été contrainte d’agir en dehors du champ des pouvoirs lui  conférés par la Charte africaine.

PROFONDEMENT PREOCCUPEES par le fait que ces dispositions de la Décision 1015 signalent des restrictions et des barrières croissantes à l’accès des organisations de la Société civile au système africain des droits de l’homme en général, et, en particulier, à l’ensemble des 517 ONG qui détiennent actuellement le statut d’observateur auprès de la CADHP et s’efforcent de faire progresser et défendre les droits humains des populations africaines et de tous ceux qui souhaiteraient une accréditation dans le futur.

REAFFIRMANT qu’en tant qu’organe conventionnel et compte tenu de son mandat, la CADHP ne peut abandonner ses responsabilités envers les Africains qui souffrent de graves violations des droits humains perpétrées par des acteurs étatiques en toute impunité.

Déclarons notre engagement à travailler ensemble pour protéger et défendre la CADHP et avons accepté les actions suivantes:

  1. Mettre en évidence le bilan en matière des droits de l’homme des États membres de l’Union africaine qui sont à l’origine de la Décision 1015 et le rôle insidieux joué par la République Arabe d’Égypte dans l’affaiblissement des mécanismes africains de responsabilisation, allant également à l’encontre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui comprend une Afrique de la bonne gouvernance , la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice et l’état de droit comme l’une de ses sept aspirations. Au moment où les États membres de l’UA s’éloignent de la peine capitale, non seulement l’Égypte maintient la peine dans ses lois, mais elle a récemment prononcé le plus grand nombre de condamnations à mort du continent. Elle défie régulièrement les Décisions de la CADHP, ferme les organisations de la société civile, s’engage dans des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, caractérisées par un système judiciaire fortement politisé et emprisonne ses citoyens pour avoir dénoncé les violations des droits de l’homme. Les États qui ont constamment et systématiquement ignoré les Décisions des mécanismes africains des droits de l’homme ainsi que des mécanismes des Nations Unies ne devraient pas diriger le programme des réformes de notre continent.
  2. Résolues par le biais du Forum des ONG en adoptant une Résolution demandant à la CADHP de rejeter l’offre de la République arabe d’Égypte d’accueillir la prochaine Session de la CADHP et, si elle est déjà acceptée, d’annuler son acceptation. Si la CADHP procède avec sa Session, en tant que formations de la Société civile, nous avons également décidé de ne pas assister à la Session en Egypte.
  3. Défendre et protéger l’indépendance de la CADHP dans toutes ses Sessions et de continuer à organiser et à mobiliser les humains et les peuples africains pour exiger le renversement de la Décision prise par le Conseil exécutif de l’UA d’interférer avec la CADHP.
  4. Engager sans relâche le bureau du Conseiller juridique de l’Union africaine et mettre en évidence les diverses dispositions du droit international et de la Charte africaine qui ont été violées lors de la prise de la Décision 1015 afin qu’elle puisse fournir des conseils juridiques appropriés aux Organes de l’Union africaine et se prémunir contre la distorsion de la Charte africaine et du Droit international des Droits de l’Homme.
  5. Engager les États membres de l’Union africaine qui partagent l’engagement de l’Afrique à sortir d’une époque caractérisée par les conflits, l’exercice incontrôlé des pouvoirs des États, l’impunité et le manque de développement pour construire l’Afrique que nous voulons, telle qu’envisagée dans l’Agenda 2063.

Signataires